Humeurs, Un peu de moi

D’où je viens…

On n’échappe jamais indéfiniment à ce que l’on est. On peut s’en donner l’illusion, s’extraire du passé, des souvenirs, tôt ou tard ils finiront par ressurgir. D’ailleurs, ne dit-on pas que le naturel revient toujours au galop ?

Un jour ou l’autre, on devient ce que l’on est. J’ai pris le temps pour en arriver à cette conclusion, un quart de siècle précisément. 25 ans à tenir à distance toute insularité, tout lien, toute attache avec cette île montagneuse plongée en pleine mer. Corsica meia, ma Corse à moi.

Il suffit parfois d’un instant pour assembler les pièces du puzzle et pour enfin accepter en son sein ce qu’on a mis tant d’ardeur à honnir. La Corse, giron paternel qui faisait ma fierté quand j’étais enfant est devenue peu à peu un lieu maudit, rocaille de désolation et de chagrin, sous forme d’un caveau familial vue mer route des Sanguinaires, tout ce qui restait de mon père étant cette terre.

Le retour à la maison

J’ai eu le bonheur de m’accorder une semaine seule à Ajaccio en Février. Je partais sans savoir quoi chercher, je suis revenue riche de moi. J’ai trouvé celle que j’étais, j’ai trouvé mon lieu sûr, mon autre maison, entre père et mer, entre pierres et terre. Désormais, pour me comprendre et me connaître, il faut prendre en compte cette dimension insulaire, viscérale, inexplicable. Comme me l’a dit le chauffeur de taxi à mon arrivée « c’est dans votre ADN » et je crois en effet que c’est ce qui fait tout le particularisme de cet attachement que les Corses ont pour leur île, leur terre, leurs racines. Quand les côtes se dessinent et que l’avion amorce sa descente sur le golfe, je ne peux contenir cette émotion, un curieux mélange de crainte et d’exaltation… Une certitude inconsciente d’être au bon endroit tout en ayant au creux du ventre cette étrange impression de me rendre à un premier rencard. Est-ce que mon père aussi ressentait ça à chaque fois qu’il y retournait ? Je me sens davantage chez moi à Ajaccio que dans ma ville natale, tellement plus alignée, tellement plus vraie. Sûre de mes appuis, sans filtre. Là-bas, pas de place pour être discrète et effacée comme ici. L’évidence, la fluidité, un lieu qui résonne en moi, moi qui ne fait que raisonner…

Comme la vie était douce dans mon petit studio Rue Saint Charles, à deux pas de la plage Saint François, dans cette ruelle piétonne adossée à la Cathédrale… Neuf heures, déjà dehors, prête à immortaliser chaque instant de vie s’imposant à moi, les collégiens se pressant vers les grilles avant que ne retentisse la sonnerie, les habitués attablés au bar d’en bas buvant leur café, les pêcheurs à la ligne un peu plus loin et moi arpentant ce front de mer, direction le cimetière, balade matinale, sans tristesse ni chagrin, juste un chemin qu’on prend pour aller bavarder avec les anciens.

Faire une halte au Spar Place du Diamant, m’acheter des finuchjetti et une Pietra pour l’apéro, faire un détour par le quartier où vivaient mes grands-parents dans les années 40, ressentir à chaque foulée la légitimité, l’appartenance à ces lieux. Vibrer, exister sans horaires imposés, ni contraintes, passer boire un café au magasin de mon cousin, aller chercher ma cousine pour une pause déjeuner à la plage, me retrouver de façon totalement inattendue invitée à un brunch un dimanche matin et préparer des pancakes dans la cuisine d’un appart Rue Fesch sans que cela paraisse étonnant, sillonner le Sentier des Crêtes, me faire un sandwich et pique-niquer sur la plage de Barbicaja, prendre le bus ligne 5 (ou plutôt tenter de le prendre) pour aller à la Parata voir le coucher de soleil sur les Iles Sanguinaires.

Créer du lien

J’ai eu peu de contacts avec ma famille corse durant ces années d’exil émotionnel mais j’ai senti le mois dernier que tout cela avait changé. J’étais sur « mes » terres en tant que Marie, adulte et femme et non plus en tant qu’enfant suivant Papa et Maman pour un séjour. J’étais là avec mon bagage, mon passé et je suis pleine de reconnaissance face à ce lien établi, cette facilité déconcertante avec laquelle les échanges se font désormais. Quel bonheur de recevoir de leurs nouvelles, quel plaisir de voir qu’ils pensent à moi ! Je me sens accueillie, je me sens à ma place, je me sens chez moi.

Je sais que quelles que soient les éventuelles turbulences se trouvant sur mon passage, j’aurai toujours en moi ce lieu secret, ce lieu protégé, celui où je pourrai déposer les armes. Cet endroit unique au monde où je peux au détour d’une rue entendre des discussions dans cette langue chaude et chantante, me ramenant à moi chaque fois que ce sera nécessaire.

Alors, bien sûr, je ne suis pas dupe. Cette parenthèse enchantée était en décalage avec la vraie vie, je le sais. Pas de travail, pas d’enfants pendant une semaine, un rythme de vacances, une escale dans la vie réelle.

Mais cette escale, je la chéris. Je sais que ce lieu existe, que je m’y sens bien, qu’il m’apaise (et lisse même ma ride du lion encore mieux que le mode beauté de mon appareil photo !). Je sais que je ne resterai plus jamais séparée aussi longtemps de mon île, je sais également que je finirai mes jours là-bas, parce qu’il ne peut en être autrement et que dans le tumulte de nos existences je vouerai toujours à cette terre un amour sincère et authentique.

Je suis fière du chemin accompli, fière de m’être réconciliée avec la plus belle île au monde, celle d’où je viens, celle dont j’ai besoin, celle qui m’oxygène.

Corsica meia, per sempre.

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