C’est toujours un peu fébrile que je m’approche du clavier le 15 Octobre. Toujours un peu ailleurs quand mes doigts frôlent les touches qui font apparaître une à une les mots suivants:
Journée de sensibilisation au deuil périnatal
Ces deux termes qui vont si mal ensemble, ces termes que tu ne connais pas jusqu’au jour où ils te tombent dessus avec toute la violence et l’horreur qui les accompagnent.
La parole se libère un peu ces derniers temps faisant suite au décès de Jack le bébé de Chrissy Teigen et John Legend, ça polémique lors de talk-shows s’insurgeant contre ces odieux parents qui osent nommer leur bébé imposant ainsi au monde une existence bien gênante et surtout taboue.
J’ai longtemps réfléchi aux sens de mes écrits, à leur raison d’être, à ce que les gens allaient penser, surtout ceux qui me connaissent. Est-ce que ça ne faisait pas de moi une faible de traiter encore le sujet ? Est-ce que ce n’était pas dérangeant que malgré les années, j’en parle encore ? N’était-ce pas le signe de mes failles, d’une incapacité à aller de l’avant ? Et puis, j’ai constaté en suivant notamment le compte à nos étoiles sur Instagram qu’il y avait encore tant à faire, tant à dire pour sensibiliser, pour soutenir. Le compte tenu par Julie est typiquement le support que j’aurais aimé trouver il y a presque 10 ans, typiquement aussi le support que j’aurais pu écrire tant les mots sont justes et les ressentis similaires.
Quand j’ai créé le blog, je ne voulais pas que tout tourne autour du deuil périnatal, il fait partie de mon histoire, a un rôle indéniable dans la façon dont je suis mère actuellement mais je souhaitais surtout envisager « l’après », les obstacles intérieurs, les batailles psychologiques, les grossesses suivantes, les remarques qui font si mal.
Je pense toutefois que le temps est venu pour moi de témoigner, de partager. 2020 est assez folle, les projets sont repoussés, décalés, chamboulés, seul reste ce qui nous a marqué. Si je mène à bien celui-là, je saurai qu’à chaque arc-en-ciel, chaque plume croisée sur ma route, chaque coccinelle, je n’aurai pas été seule.
Il s’appelait Baptiste et je ne le tairai pas.
Pour conclure et mettre en lumière cette journée si particulière pour les parents endeuillés, je publie à nouveau ce texte si cher à mon cœur:
Il t’en faudra du courage pour affronter leurs regards, leurs non-dits, les mots qui seront tus, les maux qui seront lus. Tu les détesteras ces ventres arrondis, ces femmes pleines d’insouciance que tu étais toi aussi, avant ce triste jour, avant ton tsunami. Tu les nommeras « primipares extatiques » t’étouffant d’envie et de jalousie devant leur assurance, devant leurs certitudes, parce que « toi, tu sais ».Tu sais que tout peut basculer, qu’il n’y a pas de destin tracé. Tu sais la douleur de donner la mort à la place de la vie, d’oublier peu à peu les mots murmurés, les coups de pieds et les souhaits.
Tu ne sauras jamais de qui il tenait son sourire, tu te rappelleras la douceur de sa peau, la chaleur de son être avant que tout s’arrête. Au fond de toi, tu le chériras, prononçant son prénom, le taisant quelquefois quand la douleur et la peine martèleront ton cœur. Tu apprendras à baisser les yeux, à ravaler tes larmes quand on te dira « alors, le bébé c’est pour quand? »
Tu les détesteras d’oublier. Tu voudras hurler qu’il a existé, qu’il y a eu un premier bébé. Tu le diras quelquefois, on te reprochera de mettre les gens mal à l’aise, qu’ils posent des questions juste pour parler. Alors tu te tairas, te sentant coupable de le trahir ce bébé.
Tu ne peux pas lui faire ça, tu culpabilises déjà bien assez. Ce corps, ce vaisseau supposé insubmersible qui malgré lui, malgré toi, vous a entraînés vers l’abîme. Et le Papa dans tout ça ? Chacun à votre manière, vous tenterez de vous réparer, de vous protéger. Il est des chagrins qu’on garde au fond de soi, des désarrois trop profonds pour être partagés.
Il faudra leur dire que non, tu n’oublieras pas, que oui il a compté, qu’un bébé n’est pas un autre et que cette absence-là jamais on ne s’y fait. Tu essaieras de l’imaginer… Quel enfant il aurait été… Ton cœur manquera un battement quand tu croiseras un petit homme de l’âge qu’il devrait avoir, ta respiration se coupera quand tu entendras son prénom. Et puis tu feras avec, ou plutôt tu feras sans. Sans première bougie, sans premier Noël à 3, sans premiers pas.
Tu penseras à tout ce qui aurait dû être et ne sera jamais. Parfois, en pleine nuit, tu te réveilleras, encore ensommeillée tu poseras les mains sur ton ventre en te demandant si ça a bien existé.
Tu (sur)vivras jusqu’à ce que la Vie te reprenne par la main. Un jour, tu verras, tes peurs et tes angoisses seront moins fortes que l’envie de donner la vie. Mais en attendant, il faudra la forger ta carapace, dure et froide pour mieux dissimuler la blessure. Parfois, tu ne te reconnaîtras pas tellement tu seras autre. Plus jamais la même et pourtant si semblable à toutes ces femmes ayant vécu ton drame.
C’est magnifique et très émouvant ! ❤ Ma belle mère parle souvent de son petit B. né à moins de 5 mois de grossesse, ce n’est pas un tabou et ça ne doit pas en devenir un !
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Merci ❤️ C’est jamais facile de savoir si on est « autorisé » à en parler !
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Merci pour ce texte si émouvant. Un enfant ne devrait jamais être tabou. Je pense à ton petit Baptiste.
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