Grève, surveillances, notes, corrections, rétentions de copies, jurys, délibérations, contrôle continu. Révolution. Ces mots tournent en boucle dans ma tête , je pense aux élèves, je ne pense qu’aux élèves.
Bac ou pas Bac ?
Quel avenir est-on en train de leur dessiner ? Entre un Ministre inflexible qui tente coûte que coûte de délivrer les résultats du Bac le jour J quitte à arranger à sa façon un article du code de l’Education, bafouant au passage le sacro-saint principe d’équité si cher à notre Institution et une masse de professeurs grévistes, jusqu’au-boutistes, qu’on tente de faire passer pour une poignée de syndicalistes inconscients « prenant leurs élèves en otage ».
Les seules prises d’otages à déclarer sont celles du savoir et de l’égalité. L’école de la confiance s’accompagne plutôt de défiance s’adossant à une réforme certes nécessaire mais bien mal menée, bien mal pensée.
Les profs ne sont pas réfractaires à chaque réforme comme on tente de le faire croire. En revanche, nous sommes opposés à celles que l’on ne juge pas bénéfiques à nos élèves, à l’intérêt de nos élèves. Ce Bac en contrôle continu, ces épreuves amorcées dès le mois de Janvier de l’année de Première, des groupes de spécialité à 35 élèves: non ce n’est pas une bonne chose.
On va passer notre temps à évaluer. Quid du stress de l’examen final ? Est ce plus judicieux de le disséminer sur l’année de Première et de Terminale ? Comment préparer au mieux nos élèves avec une rentrée en Septembre et les premières épreuves 4 mois plus tard ? 4 mois. Ils ne seront jamais prêts. Ou bien ils le seront, à condition qu’une fois encore, on revoit nos exigences à la baisse, à condition qu’une fois encore on se montre « bienveillants ». Comme toujours.
J’entends déjà les « de toute façon, c’est à cause des profs si les élèves n’ont pas leurs notes de bac ! »
A cause des profs. Un peu comme à chaque fois d’ailleurs. Enseignant: le seul métier que tout le monde se permet de juger sous prétexte qu’il a fréquenté des établissements scolaires.
Oui, il y a des profs fumistes, qui ressortent leurs cours d’une année sur l’autre, qui ont l’arrêt maladie facile mais il il y a tous les autres, ceux qui s’investissent, ceux qui ne comptent pas leurs heures, ceux qui ont des projets plein la tête, ceux qui considèrent leurs élèves non pas uniquement comme des apprenants mais comme des êtres humains en devenir, en construction, qu’on se doit d’accompagner le mieux possible.
Il y a tous ces élèves que j’ai croisés depuis le début de ma carrière, ceux qui ont passé leur Bac il y a 3 semaines, que j’ai soutenu avant chaque épreuve, que je retrouverai demain avant l’affichage des résultats, les mains tremblantes pour eux et surtout pour les générations à venir qui essuieront les plâtres de réformes pensées en haut-lieu mais tellement éloignées de la réalité de notre métier.
Les fameux résultats…
Je suis de jury de délibération dans quelques heures et je ne sais pas à quoi m’attendre. J’ai reçu ce matin un mail adressé à une liste de diffusion nous appelant à mener la révolution dans les jurys, voire même à les quitter. Tout a été bien ficelé, une motion à lire en début de séance avec refus de délibérer sur les élèves n’ayant pas eu la totalité de leurs notes de Bac figure même en pièce jointe du mail.
Et je ne sais qu’en penser. Je suis opposée à la réforme. Je suis opposée à la rétention des notes. Je suis autant amère qu’en colère de voir que le mépris qu’on nous assène est grandissant et que l’écoute qu’on demande est inexistante.
Certes, Monsieur le Ministre, vous l’annoncez « votre porte est ouverte » mais combien d’actions ont été faites , combien de grèves menées pour au final imposer cette réforme sans concertation, sans réelle concertation? Cette École qui vous est chère, cette bienveillance que vous nous demandez de manifester lors de nos évaluations, lors de nos corrections, ne serait-ce pas le moment de l’appliquer envers les professeurs qui avec de moins en moins de moyens et de plus en plus de tâches à accomplir en sont arrivés à la mise en péril (relative on le sait bien) du Bac ?
J’assiste impuissante au délitement de ce métier que j’aime tant, ce métier si souvent critiqué, abondant de clichés:
« les 18h par semaine, les profs tout le temps en vacances, fainéants, toujours absents, toujours en train de se plaindre »…
mais prenez notre place l’espace d’un instant, sans vocation et sans passion, vous ne tiendrez pas bien longtemps.
Dites vous aussi que le jour où l’on baissera les bras, le jour où l’on arrêtera de se plaindre pour vos enfants, pour nos enfants, quand plus aucune voix ne s’élèvera contre la démagogie, contre les réformes insensées, contre tout ce qui contribue à mettre à l’agonie un système scolaire déjà bien souffrant, il sera trop tard pour se dire « ah peut-être bien que ces profs avaient raison !»
Demain les résultats du Bac seront affichés, avec des notes partielles, dans un climat de tension peut-être. Demain, les profs qui auront fait leur possible pour éviter que le navire coule à pic seront critiqués par certains, défendus par ceux voyant la catastrophe arriver,mais je le répète: quand plus aucune voix ne protestera, il sera vraiment temps de s’inquiéter.
Profitez bien encore des quelques semaines qui vous séparent de la prochaine rentrée scolaire car à partir du 1/09/2019, vous serez légalement tenue à un devoir d’exemplarité. En d’autres termes, plus triviaux mais plus parlants, « un enseignant, ça démissionne ou ça ferme sa gueule ». De nombreux ministres de l’EN en ont rêvé, Blanquer l’a fait. Grâce à ce regain de caporalisation, le bac 2020 devrait se dérouler sans heurt.
Je suis bien d’accord avec vous sur de nombreux points de la nouvelle réforme, sur Parcoursup qui renforcent les inégalités et maintiennent les élites au pouvoir. Il y a belle lurette que l’ascenseur social qu’était l’école est en panne. Mais bon, il y a belle lurette aussi que les syndicats majoritaires ont vendu leur âme au diable : on ne peut pas défendre l’école, l’enseignement et toucher en même temps des subsides de l’Etat… Le marasme actuel n’est pas une surprise et la poignée de profs qui continue à se battre tient plus d’un petit village d’irréductibles gaulois. Ils ont ma sympathie et mon admiration. Quant aux fédérations de parents d’élèves, leur seul souci est que leurs chères têtes blondes soient perturbées le moins possible dans l’instant présent uniquement.
A mon humble avis, le mammouth est aux abois parce que dans ses derniers soubresauts, d’où cette rigidification des postures, des décisions chez ses responsables.
Bon courage à vous (Il va vous en falloir !) de la part d’une ex-enseignante ayant quitté le navire il y a deux ans et qui à défaut de nager dans la sécurité financière, nage dans le bonheur de faire ses métiers comme elle l’entend et d’avoir retrouvé sa liberté. J’ai adoré mon métier, surtout à mes débuts, mais suis vraiment heureuse d’avoir quitté ce « merdier ».
PS : un petit point de désaccord : il y a bien longtemps que le(s) savoir(s) a/ont quitté l’école, remplacé(s) par les fameuses compétences…
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Merci pour votre commentaire, il est vrai que les compétences dominent actuellement 🙂 Merci également pour le courage et belle continuation à vous !
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Je rejoins l’ex-collègue plus haut: prends des précautions dans tes prises de position. Pour le reste, je te rejoins dans ton constat en demi-teinte et en nuances. Courage Marie et continue de réfléchir et de défendre ton métier 🙂
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« Enseignant: le seul métier que tout le monde se permet de juger sous prétexte qu’il a fréquenté des établissements scolaires. »
Je crois que c’est aller un peu vite en besogne. Autant il est évident que les professeurs concentrent nombre de commentaires, parfois injustes et déplaisants, autant penser qu’ils sont les seuls au monde à subir ce genre de jugements me laisse pensif. On juge les agents du service public, on juge les travailleurs du privé, on juge les chômeurs, on juge les journalistes, on juge les travailleurs sociaux, on juge partout, tout le temps. Ne vous en faites pas, la solitude en la matière n’est pas encore à votre porte.
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J’aurais certes pu nuancer le propos 😉 bien consciente que nous ne sommes pas les seuls confrontés à des remarques acerbes !
Bonne journée !
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Et que dire sinon constater au fil des ans des générations de jeunes sacrifiés, diplômés qui plus est ! Là où le travail fût un temps gage de réussite et d’insertion dans le monde de l’emploi, que reste t-il ?
Des parents eux-mêmes en burn-out quand ils en ont encore un d’emploi ? Des technocrates du dimanches tous les jours de la semaine ?C’est ça la finalité du monde de l’emploi ? Dans quelle réalité bien triste et anxiogène éduquons nous nos enfants et/ou ceux des autres ?
Instruire et former, sont les missions premières et pour moi les seules pour lesquelles l’Ecole porte et engage SA responsabilité.
L’éducation a remplacé l’instruction. Les mots ont un sens malheureusement.
Les moyens à la baisse ainsi qu’une non volonté politique claire et responsable ont suivi et ont forgé le modèle et la crise de cette grande institution.
Des jeunes vont aller de galères en galères pour ne serait-ce que trouver des stages dans un premier temps et accèder à un emploi pérenne plus tard ? La roue tournera…
Mais c’est quoi quand même cette société que nous participons tous à construire en acceptant la fatalité ?
Dans son excellente enquête de 2011 https://books.google.fr/books/about/Le_Pacte_immoral.html?id=yLSO-4ZSVGUC&printsec=frontcover&source=kp_read_button&redir_esc=y la journaliste Sophie Coignard avait déjà tirė la sonnette d’alarme… Elle ne fût pas la seule qui plus est.
Ces enfants sauront se réinventer pour construire une autre société ma foi…
Pour vous rassurer je porte en moi la chance d’avoir été instruite par des professeurs éxigeants, chiants parfois, même incompétents pour certains… TOUS ! je peux le dire aujourd’hui,m’ont appris à apprendre et m’ont permis de croire dans leurs regards que je pouvais,si, je le voulais, et que mon travail me le permettrait.
Merci de ça !!!
Leur enseignement m’accompagne tous les jours…
Alors ne baisser pas les bras et continuer à faire votre métier avec passion courage et lucidité.
Day by day, one by one…
Bien à vous !
CK
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L’Education Nationale, c’est comme le foot, tout le monde se croit expert sous prétexte qu’il a déjà vu un ballon ou un stylo, alors que même un enseignant connait rarement les conditions de travail de ses collègues, et c’est peut-être d’ailleurs là le problème qui rend impossible une coordination des « combats ».
Peut-être le jour où on supprimera les postes fixes et où chacun sera nommé le 1 septembre sur 2 voire 3 établissements, dans la douleur on trouvera la solidarité de construire notre Ecole, puisque manifestement on est incapable de le faire avec l’intelligence dans un confort relatif.
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